Analyse

En Birmanie, les militaires soutiennent Vladimir Poutine, le peuple défend les Ukrainiens

Le général putschiste Min Aung Hlaing, qui a renversé le pouvoir démocratique birman le 1er février 2021, a toujours entretenu une proximité quasi filiale avec Vladimir Poutine.
Le général putschiste Min Aung Hlaing, qui a renversé le pouvoir démocratique birman le 1er février 2021, a toujours entretenu une proximité quasi filiale avec Vladimir Poutine. POOL / REUTERS
La junte militaire qui a pris le pouvoir par la force le 1er février 2021 défend la Russie, principal pourvoyeur d’armes aux généraux. Les Birmans en revanche soutiennent le peuple ukrainien mais ressentent une certaine injustice de ne pas recevoir autant d’attention de la part de l’Occident.

Les avions de chasse Sukhoi et les hélicoptères de combat russes bombardent depuis des jours les populations civiles ukrainiennes. Mais à l’autre bout du monde en Birmanie, les mêmes avions russes lâchent leurs bombes sur les civils birmans dans tout le pays.

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Le général putschiste Min Aung Hlaing, qui a renversé le pouvoir démocratique birman le 1er février 2021, a toujours entretenu une proximité quasi filiale avec Vladimir Poutine. Dès l’invasion militaire russe en Ukraine le 24 février dernier, le régime militaire birman a de suite soutenu la Russie, qui « a le droit de défendre sa souveraineté ».

La Russie fournit plus de 25 % des armes en Asie du Sud-Est

« La Russie est le premier fournisseur d’armes à la Birmanie devant la Chine, explique d’emblée David Camroux, chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri) à Sciences Po, et notamment de nombreux avions et hélicoptères, ce qui donne aux militaires birmans la maîtrise du ciel d’où ils pilonnent les régions ethniques en rébellion. »

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D’ailleurs, la Russie fournit plus de 25 % des armes dans toute l’Asie du Sud-Est : grenades, pistolets, mines, mitraillettes Kalachnikov, lance-roquettes… mais aussi blindés, avions et transporteurs de troupes. Des dizaines de techniciens et ingénieurs russes sont d’ailleurs basées en Birmanie pour entretenir le matériel et former les pilotes birmans.

« La seule visite à l’étranger effectuée par le général Min Aung Hlaing a été à Moscou en juin 2021 à l’invitation de l’actuel ministre russe de la défense Sergueï Choïgou pour parler contrats d’armement », explique encore David Camroux.

Le vice-ministre russe de la défense, Alexandre Fomine, avait été invité deux mois plus tôt en Birmanie au défilé militaire organisé pour les 76 ans de la formation de l’armée birmane. « Ce sont des relations fortes entre des marchands de canons et des dictateurs qui veulent promouvoir un modèle politique dictatorial », résume David Camroux.

« Par rapport à l’aide attribuée aux Ukrainiens, nous ressentons une certaine injustice »

« Vladimir Poutine est le père adoptif du général Min », lâche avec sarcasme Tin Tin Htar Myint, présidente de la communauté des Birmans de France, à Paris depuis vingt ans, rappelant que « par le passé, le gouvernement ukrainien a lui aussi vendu des armes aux généraux ». Mais pour cette militante anti-junte, « il est clair que le peuple birman a osé manifester en provinces pour soutenir le calvaire des Ukrainiens auxquels il s’identifie, puisqu’il souffre lui aussi sous les bombes russes ». Depuis le coup d’État militaire, il y a eu plus de 10 000 arrestations et au moins 3 000 morts.

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Pour Alex Aung Khant, 27 ans, représentant officiel du gouvernement d’unité nationale (GUN) birman en France, et petit-neveu de la Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, « Vladimir Poutine est une inspiration pour le général Min ». Selon lui, il est la preuve vivante qu’on peut développer son propre pays sans système démocratique. À l’image de certains voisins thaïlandais, laotiens ou vietnamiens. Pourtant, Alex Aung Khant ne cache pas un sentiment contradictoire à l’égard de ce conflit en Ukraine.

« Nous ressentons de la solidarité et de la compassion bouddhiste à l’égard des millions de civils ukrainiens, explique-t-il, mais nous avons également une profonde frustration face à la réaction massive et rapide de la communauté internationale à l’égard de l’Ukraine. » À ses yeux, les Birmans souffrent depuis plus d’un an sous la dictature et les bombes. « Nous avons nous aussi demandé de l’aide et des armes, mais nous n’avons rien reçu. Nous nous sentons oubliés et même lésés face à cette injustice. »